Les acteurs du luxe se ruent sur le CBD
Loin des boutiques de quartier underground, le dérivé du cannabis change de visage et s’invite dans les hotspots huppés, des boutiques hôtels sélects aux grands magasins parisiens en passant par les cliniques wellness les plus pointues.
Sur le plan mondial, le CBD aurait généré 2,8 milliards d’euros en 2021, selon Grand View Research, avec une prévision de croissance de 21,2% par an jusqu’en 2029. Un marché colossal dont les acteurs du luxe ont flairé le potentiel. Qu’on le sirote en tisane, qu’on le hume dans un sauna ou qu’on s’en tartine lors d’un massage, le cannabidiol, plus généralement appelé CBD, a le vent en poupe et séduit de nouveaux profils de consommateurs.
Selon une enquête de uWeed et de l’Association suisse de l’industrie du cannabis, plus de 30% des amateurs sont des femmes, 41% ont un diplôme universitaire et 56% ont moins de 40 ans. Exit l’image délétère de son sulfureux cousin, le THC, connu pour ses propriétés psychoactives. Le cannabidiol apparaît comme le nouvel eldorado d’un luxe en quête de renouveau. De l’imagerie rasta cheap à l’acmé du chic, plein phare sur un repositionnement stupéfiant.
Grands magasins parisiens
Un élégant stylo à vapoter de la marque de marijuana Beboe, imaginée par un ancien de chez Dolce Gabbana, des pétards préroulés dans un écrin raffiné à l’emblématique couleur orange à choisir selon l’effet souhaité – calme, créativité, connectivité – du label Canndescent ou encore des coffrets à près de 9000 dollars comprenant les it-accessoires du fumeur signés Devambez, les amateurs de cannabis made in California ont de quoi s’en donner à cœur joie.
Si, en Europe, la banalisation du joint récréatif n’est pas encore d’actualité, le CBD, ersatz légal du THC, acquiert ses lettres de noblesse, flirtant ouvertement avec l’univers du luxe, grâce à de nouveaux labels inspirés par le modèle californien. C’est le cas de la start-up parisienne Huages.
«À New York et en Californie, le CBD s’intègre dans une routine de vie healthy où on mange équilibré, on pratique le yoga et le sport à outrance»
Hélène Aubier, cofondatrice de Huages
«Nous nous sommes lancées il y a un an, témoigne Hélène Aubier, cofondatrice de la marque. J’ai vécu quatre ans à New York et eu souvent l’occasion de séjourner en Californie. Là-bas, le CBD s’intègre dans une routine de vie healthy où on mange équilibré, on pratique le yoga et le sport à outrance. Les produits positionnés luxe s’adressent à une population CSP + soucieuse de sa santé. C’est dans cet esprit que nous avons créé Huages.
Nous avons opté pour des packagings design, des saveurs travaillées et surtout un réseau de distribution premium, avec des corners au Bon Marché, chez Merci, aux Galeries Lafayette ou encore au Grand hôtel du Palais Royal».
Avec ses huiles à 10% et son thé matcha comme best-sellers, le label est en plein essor et touche une cible loin des caricatures. «Nos clients sont en grande majorité des femmes, cadres supérieurs, dont 50% sont âgés entre 25 et 34 ans et 27% sont parisiens», confirme la cheffe d’entreprise.
Le cannabis dans la peau
Un engouement que l’on retrouve dans l’industrie du bien-être, toujours en quête de nouvelles expériences à offrir à ses clients. L’hôtel Seven ou l’hôtel Hoy, à Paris, proposent ainsi des rituels de soins au CBD, allant du modelage à l’huile infusée à la dégustation de thés parfumés. Le Chi, du Shangri-La, prestigieux 5 étoiles du XVIe arrondissement, dispense un massage holistique à l’ingrédient miracle, libérant «du stress et de l’anxiété, pour une parfaite zen attitude».
«Le pari de lancer un CBD spa en plein Covid était un peu fou, mais l’enthousiasme va au-delà de nos espérances»
Alex Perrin, propriétaire du Schloss hotel
Plus jusqu’au-boutiste, le Schloss hotel à Zermatt a lancé en 2020 un spa flambant neuf intégralement dédié au CBD. «Le succès a été immédiat, témoigne Alex Perrin, l’audacieux propriétaire de l’adresse valaisanne. De nombreux articles de presse ont relayé l’ouverture». À la carte de l’établissement de 630 m2, un sauna à 60 degrés pour humer les vapeurs de la plante médicinale millénaire, un soin aux herbes des Alpes appliqués dans un pochon en CBD ou encore un enveloppement au cannabidiol dans un lit flottant pour planer comme en apesanteur. «Nous avons triplé nos effectifs pour répondre à la demande. Le pari de lancer un CBD spa en plein Covid était un peu fou, mais l’enthousiasme va au-delà de nos espérances.»
Même son de cloche dans la cosmétique, avec un boom des marques surfant sur la vague, tant chez des acteurs du luxe établis, comme Chantecaille, récemment racheté par le groupe Beiersdorf pour étoffer son pôle prestige, que chez des nouveaux entrants, à l’instar de I.D Swiss botanicals, label de neuro-cosmétique lancée par Babylon Sciences, acteur majeur du CBD en Suisse.
À boire et à manger
Encensé pour ses vertus cosmétiques, le CBD se sert également à toutes les sauces dans la gastrosphère, des tisanes chics de chez Divie au soda siglé par le styliste Jacquemus en passant par le Cirrus, gâteau du chef pâtissier Philippe Conticini.
Une substance à déguster les yeux fermés? Malgré sa popularité croissante, le CBD reste sujet à polémique. En février dernier, les chimistes cantonaux ont passé au crible une centaine de denrées alimentaires contenant des extraits de cannabis ou portant la mention CBD. 85% des produits analysés ont été jugés non conformes.
«Sur le plan de la santé, la démocratisation du CBD ne comporte à mon avis aucun risque, au contraire… à condition toutefois que les normes de qualité, de pureté, de production soient strictes.»
Dr Guénolé Addor, directeur médical des cures Reset, de la Clinique Nescens
Faut-il pour autant renoncer à son shoot nocturne? Le Dr Guénolé Addor, médecin spécialiste en anesthésiologie et directeur médical des nouvelles cures Reset de la Clinique Nescens, à Genolier (VD), tempère les inquiétudes. «La science est solide concernant les vertus du CBD. Le THC et le CBD ont la même structure moléculaire de base, avec des différences subtiles dans l’arrangement des atomes qui font toute la différence. Des doses quotidiennes massives peuvent affecter le métabolisme du foie et la fertilité, mais il faut beaucoup de CBD pour y parvenir.»
Dans les programmes wellness que l’expert a mis en place, le cannabidiol peut être prescrit aux clients sous forme de gouttes sublinguales, de tisanes ou de baume selon les besoins. «Les indications sont nombreuses tant pour améliorer le sommeil, diminuer l’anxiété, les douleurs ou les inflammations.» Si le recours au CBD au sein d’une cure orchestrée par des médecins ne fait pas débat, le Dr Addor se montre favorable à une utilisation plus large. «Sur le plan de la santé, la démocratisation du CBD ne comporte à mon avis aucun risque, au contraire… à condition toutefois que les normes de qualité, de pureté, de production soient strictes.» Avis aux amateurs…